Entretien avec Catherine d'Ovidio, (pseudo emotion),
Championne du Monde
Bonjour Cath,
Merci de m'accorder cet entretien.
Tu es née le 3 avril 1959.
J'ai lu quelque part que tu étais arrivée en France en provenance du Proche Orient. Peux-tu nous préciser de quel pays du Proche Orient et était-ce ton lieu de naissance ?
Catherine :
Je ne sais pas qui a écrit cela mais c'est faux...
Je suis au Raincy dans le Neuf Trois... LOL
Wikipedia : Catherine d'Ovidio
(ces fausses infos ont été rectifiées sur ce site après parution de notre interview)
Dany :
Dans ton adolescence tu t'intéressais au théâtre puisque tu voulais y consacrer ta carrière. As-tu parfois regretté ce changement de cap ?
Catherine :
Oui et non
Je pense que le théâtre professionnel est un milieu très superficiel et que pour réussir, il faut être prêt à se compromettre, ce qui n'est pas mon cas. Je regrette cependant de ne pas avoir continuer le théâtre amateur.
Dany :
Tu découvres le bridge en 1978 en allant regarder tes parents jouer dans leur Club et dès le 1er soir en rentrant à la maison tu leur déclares : « Je serai un jour Championne du Monde ».
Etais-ce une boutade, une phrase qui t'a traversé l'esprit mais à laquelle tu ne croyais pas ou, au contraire, dès cet instant, tu savais déjà que tu te donnerais les moyens d' y arriver ?
Catherine :
Cela peut sembler prétentieux, mais j'ai ressenti une telle passion (merci Jean Claude André, mon professeur) dès le premier cours que je voulais atteindre les sommets. Je n'avais que 19 ans et ne me rendais probablement pas vraiment compte de ce que cela représentait comme nombre de marches à gravir
Dany :
Tu débutes au « Club du Raincy » (Villemomble) où tu rencontres des gens compétents qui savent repérer les joueurs doués et leur permettre de progresser, ce qui t'amène très vite, dès 1985, à décrocher ta 1ere qualification en Equipe de France et ton 1er titre de Championne d'Europe.
Comment expliques-tu qu'en 7 ans tu aies fait ce parcours brillant ? Ou, dit autrement, qu'est ce qui « fait » un Champion ? Je ne parle pas des gens qui entourent un Champion, mais des qualités nécessaires : ambition, travail, don. Ces 3 qualités indispensables, comment sont-elles réparties chez toi ?
Catherine :
Je déborde d'ambition, je pense que j'avais à l'origine un réel don et je suis restée pendant près de 3 ans à lire toutes les nuits des livres de bridge et à jouer tous les jours.
Je pense qu'il n'y a aucun mystère : pour atteindre le plus haut niveau dans n'importe quelle discipline il faut y croire et travailler, travailler, travailler. On doit faire corps avec son sujet, ne plus vivre que pour lui.
Dany :
Si tu fais une moyenne dans ta vie, combien de temps, d'heures par jour, consacres-tu au bridge ?
A jouer ?
A travailler ?
Catherine :
Aujourd'hui plus beaucoup de temps ni à jouer ni à travailler, mais je continue à lire le bridge qu'il s'agisse de cours que je donne, de magazines spécialisés (tel le Bridgeur ou le Bridge World) ou des livres (nous avons à la maison une pièce entière de livres de bridge)
Dany :
Quelle (s) forme (s) de travail, d'entraînement, privilégies-tu ? Ta méthode préférée ? La plus efficace ?
Lecture d'ouvrages spécialisés, discussions avec des spécialistes, jeu à la table avec de grands joueurs ?
Quels conseils donnerais-tu aux joueurs débutants qui ont la volonté, sinon de devenir Champion de Monde, mais pour le moins d'acquérir un bon niveau ?
Catherine :
Je pense qu'il est indispensable de lire beaucoup, la mémoire visuelle est très importante au bridge. La partie libre est aussi une excellente école : on joue son argent donc on est plus vigilant et on apprend comment réagir face à des situations imprévues dans la mesure où on change sans arrêt de partenaire et que le système d'enchères est très sommaire. Et puis surtout, il ne faut jamais renoncer mais travailler encore et toujours et se rappeler que plus les progrès au bridge sont lents plus ils profiteront parce que les choses apprises seront bien ancrées.
Dany :
Si tu avais UN livre de bridge à conseiller quel serait-il ?
Quel est celui qui t'a le plus fasciné ?
Quel est celui qui t'a le plus aidé quand tu as débuté ?
Quel est celui que tu consultes le plus régulièrement ?
Catherine :
Le livre de bridge que je conseillerais est celui qui m'a le + aidé à mes débuts : Du non classé à l'expert. Je crois me rappeler que l'un des auteurs est Conti.... je ne sais pas si on peux encore le trouver à la boutique du Bridgeur. **
Celui qui m'a le + fasciné est Adventures in card play (très fort) Les ouvrages de Victor Mollo sont aussi excellents surtout Bridge dans la ménagerie qui allie technique et humour.
Celui que je consulte le + régulièrement est ' The Official Encyclopedia of Bridge' par Francis et Truscott, il me permet de retrouver tous les maniements de couleur, mais il date de 1984 !
Dany :
Lorsqu'on est Championne du Monde de Bridge, en France, peux-t-on vivre confortablement de cette discipline ?
De part les salaires ? Prestations ? Primes ? que l'on reçoit lors des Tournois ou Championnats ?
En donnant des cours ou en participant à des parties privées ?
En se faisant rémunérer par un partenaire ?
Catherine :
Il est triste de dire qu'en France cela n'a pour le moment rien changé.
Pas plus d'élèves ni de proposition mais je ne désespère pas... En revanche, nous avons déjà eu plusieurs contacts avec des Américains pour jouer sponsorisées.
Dany :
La Fédération Française de Bridge est très importante avec ses 120.000 membres et un gros budget.
Quels sont ses objectifs prioritaires ?
Quels devraient-ils être ?
La Fédération met elle en oeuvre tous les moyens nécessaires pour aider ses champions ?
A vivre du bridge afin qu'ils puissent se consacrer aux compétitions ?
A leur confort matériel et psychologique lors des Championnats ?
Catherine :
Je crois savoir que son objectif actuel est d'atteindre 120 000 membres. Mais je ne suis pas convaincue qu'elle s'en donne les moyens.
la Fédération ne fait RIEN pour nous !!!!!
Le bridge de l'élite ne l'intéresse pas ou si peu... je pense que c'est une erreur : nous sommes censés être la "vitrine" de notre fédération et pour que ses rangs grossissent, il est important que nous obtenions des résultats. Elle devrait donc tout mettre en oeuvre pour nous permettre de nous entraîner sereinement plutôt que de nous traiter comme des moins que rien (je n'exagère pas)
Dany :
Le système d'enchères français a fait ses preuve à travers ton parcours et celui d'autres grands joueurs français. Il est cependant remis en question par certains, critiqué, contesté. Il y a tous les niveaux de jeu chez les gogosbridgeurs, comme toutes les tranches d'âge. Que dirais-tu aux jeunes débutants, ou aux intermédiaires qui désirent progresser et qui sont un peu perdus devant ces débats : SEF ou pas SEF ?
Ne penses-tu pas que lorsqu'on joue en France il est préférable d'adopter le standard de son pays, quitte, ensuite, lorsqu'on en a une bonne maîtrise, de s'essayer à d'autres systèmes ?
Catherine :
Ta dernière phrase traduit parfaitement ma façon de penser : lorsque l'on bâti une maison on se doit de faire des fondations solides si on veut qu'elle tienne debout. Le bridge c'est pareil. Le système d'enseignement français est TRES BON. Et une fois qu'il est maîtrisé, rien n'empêche un joueur de s'orienter vers un système artificiel, semi artificiel ou bien naturel mais avec beaucoup plus de gadgets...
Dany :
Quel est ton meilleur souvenir lié au Bridge ?Catherine :
Ma première qualification en équipe de France : pendant une semaine je me suis sentie sur un nuage...
Dany :
Le pire ?
Catherine :
Le championnat d'Europe 2002 à Salsomaggiore, sans commentaire....
Dany :
Lorsque l'on a atteint ton niveau, que l'on a tout gagné, (23 médailles internationales) quelles espérances, quel but, quel objectif a-t-on encore ?
Catherine :
Obtenir une place en équipe de France Open...
Dany :
Quels regrets garderas tu ? (si tu en as)
Catherine :
Le statut de femme dans ce milieu tellement mysogine
Dany :
Tu as un très beau pseudo « emotion » sous lequel les gogosbridgeurs te connaissent :
Que peux-tu nous dire justement sur ces émotions qui te traversent ?
Dany : Au bridge ?
Catherine :
Vous aurez certainement du mal à y croire mais lorsque je suis venue sur BBO et encore aujourd'hui si on me demande de jouer je me mets à transpirer et je suis submergée par la peur ! Lorsque je joue une compétition importante je tremble pendant toute la première donne, le trac existe aussi au bridge.
Dany :
Dans ta vie ?
Catherine :
Je suis quelqu'un d'entier, je ris et je pleure très facilement et je crois être atteinte d'hyper émotivité, cela se soigne sûrement mais je suis heureuse comme ça ! Je peux aussi me mettre en colère assez facilement je déteste l'injustice, la mesquinerie et le mensonge........
Dany :
Quelle (s) qualité (s) te semble essentielle chez un partenaire ?
Catherine :
La combativité
Dany :
Quel (s) défaut (s) tu détestes le plus chez un partenaire ?
Catherine : Je ne supporte pas les partenaires qui jouent avachis sur la chaise les épaules rentrées....
C'est une attitude de looser.....
Dany :
LE JOUEUR qui te fascine le plus ?
LA JOUEUSE qui te fascine le plus ?
Catherine :
Chez les hommes, il s'agit d'une paire, plus que d'un joueur : Zia Mahmood et Michaël Rosenberg : l'un pour sa créativité et l'autre comme analyste la paire n'a pas selon moi les résultats qu'elle mérite !
Dany :
Désires-tu aborder un autre sujet ? Ou dire quelque chose d'important que je n'ai pas demandé ?
Catherine :
Je tiens une fois encore à remercier tous ceux qui nous ont et qui continue à nous soutenir par leurs messages d'encouragements et de félicitations, cela fait chaud au coeur.
Dany :
Je te remercie infiniment, au nom de tous les passionnés de bridge en général et des gogosbridgeurs en particulier, d'avoir pris de ton temps pour nous faire mieux connaître qui est notre Championne du Monde et pour nous avoir livré un peu de toi même.
Les Championnats du Monde d'Estoril 22 octobre - 5 novembre 2005
