- Paul CHEMLA

                                                                                  Les Blogs de Dany

Publié l 10/9/2006 à 18:37


Paul Chemla : Un Champion amer






Paul Chemla

Bonjour Paul, merci de m’accorder cet entretien.
Vous êtes né le 2 janvier 1944 à Tunis.
Votre mère était bridgeuse mais c’est à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm que vous découvrez réellement le bridge. Agrégé de lettres classiques , vous êtes nommé professeur à Amiens, mais comme vous espériez une nomination sur Paris vous quittez l’enseignement pour aller fréquenter les Clubs de bridge parisiens.
C’était en 1968 et dès 1972 vous participez au Championnat d’Europe à Athènes, puis Miami et enfin tout s’enchaine dès 1980 : les compétitions, les victoires, les titres.
Ascension rapide pour quelqu’un qui dit avoir choisi le bridge par « paresse ».
Comment expliquez-vous cela ?


Paul Chemla : Un grand intérêt pour le bridge.

Dany : Un talent exceptionnel et inné ?

P. C. : Peut être, mais il ne m’appartient pas de répondre à cette question.

Dany : Un travail acharné ?

P.C. : Certainement pas.

Dany : Une envie folle de « réussir » et d’être le meilleur ?

P.C. : Disons plutôt un sens de l’émulation, provenant de mes études.

Dany : Quels ont été les meilleurs facteurs de votre réussite ?

P.C. : Ma rencontre avec Lebel, qui nous a permis de rejoindre très vite les toutes meilleures paires, avant de les dépasser.

Dany : Les personnages rencontrés dans ce milieu et qui vous ont marqué ?

P.C. : Georges Théron, Jacques Stetten , Bénito Garozzo.

Dany : Les ouvrages techniques ?

P.C. : J’ai d’autres lectures, fort heureusement, que celle des livres de bridge.

Dany : Vous avez joué pendant 15 ans avec Michel Perron mais vous avez ensuite changé souvent de partenaire. A quoi attribuez vous cela ?

P.C. : Je n’ai joué après Perron qu’avec deux partenaires. Alain Lévy dont je n’ai dû me séparer que parce qu’il a accepté un contrat avec M. Zimmerman, ce dont je comprends les raisons.
Et jusqu’à ce jour avec Philippe Cronier. Je considère donc être, comme avec Perron, d’une parfaite loyauté à l’égard de mes partenaires.


Dany : Vous vous lassez rapidement de vos partenaires ?

P . C. : Non car je suis fidèle et entêté !

Dany : Ou c’est eux qui se lassent de vous ?

P.C. : C’est à eux de répondre à cette question.

Dany : « On » dit que vous avez « mauvais » caractère, que vous mettez une pression énorme sur votre partenaire et forcément sur l’équipe .Avez-vous conscience de cela ?

P.C. : Je n’ai pas un très bon caractère. Mais je ne suis pas le seul dans ce cas. Parler de « pression énorme » est très exagéré pour ne pas dire mensonger.

Dany : Paradoxalement, vous semblez être un des éléments de la « contre performance » des français en équipe open. Vous êtes en même temps le meilleur joueur et le plus déstabilisant. pour l’équipe. Que répondez vous à ces assertions ?



P.C. : Cette question est affligeante de bêtise. Je pense au contraire avoir fortement contribué à éviter un désastre total.

Dany : Les autres joueurs ne sont pas à la « hauteur » ?

P.C. : A Varsovie, c’est un euphémisme de le dire.

Dany : Vous êtes un perfectionniste et enragez dès qu’une erreur est commise ?

P.C. : Pendant longtemps, mais j’ai pris l’habitude de les supporter.

Dany : Vous ne pouvez pas vous empêcher de « râler », c’est plus fort que vous ? (même si au fond vous savez que vous avez tort).

P.C. : C’est faux en général, et en tout cas jamais quand j’ai tort.

Dany : Si je vous dis que vous êtes un marginal plutôt « asocial » que répondez vous ?

P. C. : Marginal oui, asocial pas du tout.

Dany : D’où vous vient cette « marginalité » ?

P.C. : Du mode de vie que j’ai hélas choisi. Je regrette aujourd’hui d’avoir connu ce milieu peu intéressant.

Dany : Vous gagnez votre vie en jouant au rami comme joueur professionnel. Est-ce à dire que les rémunérations de la Fédération Française ne sont pas suffisantes ?

P. C. : C’est évident.

Dany : Les Italiens, sponsorisés par Lavazza, sont à l’abri des soucis matériels. Les joueurs français attendent tout de la Fédération française dont ce n’est pas le rôle, dit-elle. Elle se contente de distribuer des primes « substantielles » mais insuffisantes aux yeux des joueurs. Souhaiteriez vous un professionnalisme en France ?

P.C. : C’est indispensable, et j’espère que dans le futur il pourra se développer. Il va sans dire que je ne suis pas concerné (vu mon âge).

Dany : A la manière italienne (sponsorisé par une firme) ? A la manière américaine (sponsorisé par une personne) ? Etre salarié de la Fédération Française ?

P.C. : L’une ou l’autre. Ou alors une combinaison de ces 3 solutions.

Dany : Est-ce que le fait d’être à l’abri matériellement, d’avoir un revenu assuré, changerait la motivation ?

P.C. : Certainement ; du moins faut-il l’espérer

Dany : Les résultats ?

P.C. : Sans doute ; à supposer que dans ce cas les paires soient mieux entraînées.

Dany : Quelles sont, selon vous, les raisons principales, de l’échec de l’équipe open ?

P.C. : La médiocrité des paires qui la composaient, non seulement due à la faiblesse de certains joueurs, mais aussi, à l’imprécision qui allait jusqu’à l’ignorance du système pratiqué.

Dany : Il y avait 3 paires dans l’équipe open de ces derniers Championnats d’Europe. 2 qualifiées : vous et Philippe Cronier (sur lequel vous avez mis la pression), Bompis et Sainte-Marie (qui manquaient peut être de motivation puisqu’ils avaient décidé que c’était leur dernière prestation ensemble), et enfin une paire « choisie » : Lévy-Mouiel qui, s’il ne semblait pas forcément le meilleur choix au départ, s’est révélée la meilleur paire pour sa cohésion. Qui a fait le choix de cette dernière paire ?

P. C. : Sur le niveau des paires, je ne partage pas cette analyse, non plus que sur la cohésion. Le choix a été fait en commun et j’avoue en être largement responsable.

Dany : Sur quel (s) critère (s) essentiel (s) ?

P.C. : La fidélité à ceux avec qui j’avais accomplie une bonne partie de ma carrière.

Dany : Avec le recul quels sont les 6 joueurs idéaux que vous verriez pour une compétition de cette nature ?

P.C. : Il faudrait six bons joueurs et former avec eux trois bonnes paires. Cela est aujourd’hui totalement impossible dans ce pays.

Dany : Et si les critères de la Fédération (sélection préalable) n’étaient pas en vigueur et que vous étiez « sélectionneur » de l’équipe open qui choisiriez vous ?

P.C. : Les meilleurs coéquipiers que j’ai eus sont morts ou retraités. Je laisserai donc ce choix à un autre, en sachant qu’il a peu de chance de succès.

Dany : Nous avons la chance d’avoir une équipe féminine très performante : Championne du Monde, Championne d’Europe, avec à sa tête Catherine d’Ovidio, numéro 1 française et numéro 1 mondiale chez les femmes. Catherine aurait-elle pu aider à la victoire ?

P.C : On met en valeur les résultats de l’équipe Dames et on a raison, puisqu’on a pas grand-chose d’autre à se mettre sous la dent. Mais les épreuves féminines ne sont, ne l’oublions pas, comme les épreuves séniors, que des championnats catégoriels, pour ne pas dire secondaires. Je ne pense pas qu’une paire de dames ne puisse avoir avant longtemps sa place dans une bonne équipe de France open, ni qu’aucune joueuse dans le monde ne vaille le dixième joueur français, si médiocre soit-il.

Dany : Pensez vous qu’il y a un gros écart de niveau entre les meilleurs joueurs (hommes) et les meilleures joueuses (femmes) ?

P. C. :  ENORME     


Dany : A quoi tient cette supériorité masculine ?

P. C. : Sans doute au fait que les femmes préfèrent de faciles succès entre elles, plutôt que de se lancer courageusement dans la compétition véritable, c’est-à-dire open.

Dany : Une femme en équipe open est-elle envisageable dans un futur proche ?

P.C. : L’équipe open est déjà assez nulle comme cela.

Dany : Souhaiteriez vous un « sélectionneur » pour les joueurs français ou finalement les règles actuelles vous conviennent bien ?

P. C. : Ce n’est hélas, comme vous l’aurez compris, pas une question de règles, mais de niveau et de travail.

Dany : Quels sont les joueurs qui « montent » chez les juniors ?

P. C. : Je l’ignore, mais on m’a dit que les Bessis et J. Gaviard n’étaient pas dépourvus de talent quoique leurs résultats à ce jour ne soient guère convaincants.

Dany : « on » m’a dit que vous n’aviez pas d’ordinateur. Est-ce parce que vous ne savez pas vous en servir et que vous refusez ou que vous n’avez pas envie d’essayer ?

P. C. : Je suis un passéiste et procède d’une culture toute différente.

Dany : Pensez vous vous y mettre un jour ?
P. C. : Pourquoi pas, puisqu’ avec quelques années de retard je me suis mis au téléphone portatif.

Dany : Avez-vous quand même essayé au moins une fois de jouer en ligne (depuis chez des amis par exemple) ?

P. C. : Non, je ne comprends déjà pas cette expression.

Dany : Il y a aujourd’hui des jeunes qui commencent à jouer directement en ligne sans passer par la case Club et Fédération. Que pensez vous ?

P. C. : C’est peut être la solution de demain.

Dany : Si vous deviez refaire votre vie, la consacreriez vous à nouveau au bridge ?

P. C. : Certainement pas.

Dany : A quoi d’autre ?

P . C. : Je garde mes rêves pour moi. Il est trop tard !

Dany : Quelles sont vos passions dans la vie (en dehors du bridge ?)

P. C. : La lecture, la musique (Mozart, Schubert, Brahms, Verdi, Wagner, etc…)

Dany : Quel est votre meilleur souvenir lié au bridge ?

P. C. : Valkenburg

Dany : Le pire ?

P. C. : Varsovie

Dany : Quelle (s) qualité (s) vous semble essentielle (s) chez un partenaire ?

P.C. : Le respect mutuel, la loyauté.

Dany : Quel (s) défaut (s) détestez-vous le plus ?

P. C. : L’hypocrisie, la mauvaise foi.

Dany : Le joueur actuel que vous considérez comme le meilleur ?

P. C. : Meckstroth, ou peut être le norvégien Helness.

Dany : La joueuse actuelle ?

P. C. : Je vous ai déjà dit ce que je pensais du bridge féminin, mais je dois avouer que j’apprécie beaucoup le jeu de Valérie Labaere.

Dany : Pensez-vous continuer longtemps la compétition et quel serait le (s) titre (s) que vous auriez le plus à cœur de gagner ?

P.C. : Non, je dois considérer que ma carrière est désormais derrière moi, à moins de compter sur un miracle, peut être ?

Je vous remercie infiniment au nom de tous les passionnés de Bridge en général et des GogosBridgeurs en particulier, pour avoir bien voulu répondre à ces questions qui permettent de mieux vous connaître.

 
Le Palmarès de Paul Chemla






********************

Pour compléter cette interview, je vous explique comment cela s’est passé. J’ai contacté Paul Chemla à son domicile par téléphone. Il a été d’accord sur le principe des questions-réponses. Il a été convenu que cela se ferait par écrit. A réception de mon questionnaire il m’a appelé pour me faire part de son indignation devant « des questions qui contenaient déjà les réponses ». Nous nous en sommes expliqué. Pour ma part, il n’y avait aucun désir de le blesser, il ne s’agissait pas d’un procès d’intention, mais simplement de reprendre des rumeurs récurrentes et de lui demander confirmation ou infirmation .
Il s’est prêté au jeu et je l’en remercie.
Plutôt que de reformuler mes questions il a été également convenu que je publierai ses réactions à ce qu’il considèrait comme des attaques injustes.
Dont acte ! (ci-dessous l’introduction de son courrier) :


Il va sans dire que personne ici ne remet en question l’immense talent de Paul Chemla que nous avons tous eu le bonheur de kibbitzer lors de divers vugraph sur BBO.
Une interview est le reflet d’état d’âme à un instant donné. Je ne doute pas que les réponses (qui m’ont semblé empreinte d’amertume) auraient été très différentes après Valkenburg qu’après Varsovie.
Mais il en est ainsi, pour lui comme pour d’autres magiciens du bridge, ce n’est pas seulement à travers leur système d’enchère, leur jeu de la carte, que leur histoire se construit. C’est aussi à travers des réparties ou des anecdotes, supposées ou réelles.
Je ne résiste pas à vous raconter l’une d’elles qui m’a été contée par des amis lors d’un déjeuner :
Cela se passait au cours d’un tournoi où Chemla jouait avec Perron. Un chien aboyait dans la salle. Chemla, sans doute gêné dans sa concentration, a demandé pour quelle raison ce chien aboyait. La propriétaire du toutou (pensant faire de l’esprit) a déclaré qu’il aboyait à chaque fois qu’un joueur faisait une erreur. Et Chemla de rétorquer : Qu’on l’attache derrière moi et il cessera d’aboyer.
Vraie ou fausse l’histoire construit le mythe.
Ce forum n’a pas d’autre prétention que celle de son nom « Pour mieux les connaître ».
Et, qu’il le veuille ou non, Monsieur Chemla est déjà entré dans la Légende !




Sa fiche BBO
                                                                                                     Les Blogs de Dany